Pages

Rechercher un article dans bouhajm

jeudi 1 mars 2012

La compétitivité se mesure entre deux chaînes logistiques

Facteur de réussite, moteur de compétitivité, générateur de valeur ajoutée... La chaîne logistique suscite toutes les attentions. Laoucine Kerbache, professeur associé au département Management industriel et logistique (MIL) d'H.E.C. et auteur de nombreux articles, nous explique ce phénomène qui occupe une place grandissante dans la gestion des entreprises.
Comment expliquez-vous l'importance croissante du SCM ?
Laoucine Kerbache(*) : Les entreprises s’efforcent toujours de développer des avantages concurrentiels en améliorant le service fourni au client et en optimisant les coûts. Sur ce dernier point, elles ont atteint la limite des améliorations qu'elles pouvaient opérer en interne et elles cherchent de nouveaux gisements de profits à l'extérieur. Les fabricants améliorent leurs coûts d'achats et de production grâce à la délocalisation notamment. Les distributeurs, eux, favorisent la sous-traitance. Aujourd'hui, la compétitivité ne se mesure plus entre une entreprise X et une entreprise Y mais entre une chaîne logistique X et une chaîne logistique Y.

Selon vous, comment va évoluer cette tendance ?
Nous sommes encore au début du processus d’optimisation et les taux de rupture d'approvisionnement, par exemple, restent encore très importants. Toutes les entreprises ne sont pas au même niveau d’évolution de leur Supply Chain. En effet, de nombreuses entreprises sont encore au niveau 1 et 2 (sur 5) au sein de la matrice de maturité SCM ce qui signifie qu'elles n'ont pas encore développé ou optimisé les relations avec leurs partenaires, ni en amont, ni en aval.

A quoi correspondent les 3 autres niveaux de cette échelle ?
En résumé, le niveau 3 représente l’intégration des différentes fonctions, c'est-à-dire la mise en place d’un outil de PGI (programme de gestion intégré). Le niveau 4 indique une mise en commun de ces fonctions entre le fournisseur et le distributeur, grâce aux échanges de données au format numérique (EDI) et aux applications de type VMI (Vendor Manage Inventory), lorsque le fournisseur gère les approvisionnements des points de vente. Le niveau 5 représente la gestion collaborative, le niveau le plus abouti. On assiste là à des initiatives fort intéressantes menées par des entreprises complémentaires ou même concurrentes. Les grands lessiviers, par exemple, collaborent pour mettre en place des plates-formes logistiques communes, multi-fournisseurs et multi-clients.

L'ouverture de l'Europe à 25 une influence-t-elle ce phénomène ?
Cette ouverture entraîne un déplacement du centre de gravité logistique de l'Union européenne vers l'Est. Elle favorise la délocalisation des sites de production vers l'Europe centrale ou de l'Est dans de nombreux secteurs tels que l'industrie automobile, les biens de consommation ou l'agroalimentaire. Ce développement des flux Est-Ouest accélère les mouvements de concentration chez les transporteurs et les logisticiens qui doivent impérativement fournir une prestation globale à leurs clients, sur l'ensemble de ce territoire. (Ndlr : Deutsche Post vient de racheter Exel, après DHL, pour occuper une place de leader sur le marché de la messagerie. Deutsche Bahn (DB) a racheté Bax Global. Norbert Dentressangle a racheté l'activité transport et logistique du néerlandais TNT. Kuehne & Nagel a racheté ACR Logistics.)

Comment se comportent les entreprises françaises dans ce domaine ?
La France occupe toujours une place incontournable sur ce marché grâce à ses trois façades maritimes et à ses liaisons avec la péninsule ibérique et la Grande-Bretagne. 40 % du transport routier européen y transite. Le pays compte des entreprises de logistique de premier plan qui ne cessent de se développer au niveau international. Le constat, en revanche, est plus mitigé dans le domaine du transport. Le pavillon français perd inéluctablement du terrain dans le secteur du transport routier.

Quid des autres moyens de transport ?
La France a pris du retard dans le domaine du transport maritime. Le port du Havre n'a pas su rivaliser avec les leaders européens que sont Rotterdam et Anvers mais la situation devrait évoluer grâce au projet "Le Havre 2000". Le développement de ce nouveau port devrait être favorisé grâce à la région, la Normandie, qui a été désignée pôle de compétitivité dans le domaine de la logistique. Le transport fluvial est également en cours de développement, grâce à son prix, mais il est soumis, comme le ferroviaire, à la décision politique. Seule une volonté européenne forte permettra de développer les infrastructures nécessaires à son accroissement. Le transport routier a encore de beaux jours devant lui, on pourrait dire, en quelque sorte, que l'Europe est victime de l'excellence de son réseau routier et autoroutier.

Et ce, malgré la flambée du pétrole ?
Oui car le transport reste faible par rapport à l’ensemble des coûts, depuis la production jusqu'à la mise en vente. L’augmentation du cours du baril, lié aux tensions internationales devrait même accentuer les tendances à l'externalisation et à la délocalisation. Les entreprises vont continuer de se recentrer sur leur cœur de métier et de sous-traiter les autres fonctions à des prestataires spécialisés qui leur apportent un gain de productivité. La délocalisation va se "nomadiser".

C'est-à-dire ?
La délocalisation évolue, elle aussi. Aujourd'hui on fait grand cas de la Chine et de l’Inde qui attirent de nombreuses entreprises. Mais je pense qu'à l'avenir, ces dernières seront capables de s'installer dans un pays pour 3 ou 4 ans avant de se redéployer autre part, en fonction des opportunités.
                                                     
                                                                                                  Propos recueillis par Frédéric Constans

* LAOUCINE KERBACHE
PROFESSEUR ASSOCIÉ AU DÉPARTEMENT MANAGEMENT INDUSTRIEL ET LOGISTIQUE D'H.E.C. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

ajouter votre commentaire: n'oubliez pas votre commentaire nous intéresse